LE SAR RABINDRANATH DUVAL
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs,
- J'ai le grand plaisir honorifique de présenter à vous ce soir, n'est-ce pas, tout à fait exceptionnellement dans le plus simple appareil, une beauté qu'on vient d'arracher, à on ne sait pas à quoi d'ailleurs ! ... de vous présenter le Sar Rabindranath Duval, qui est le descendant authentique des grands Sars, des grands visionnaires de l'Inde, n'est-ce pas ! Votre sérénité...
- Hum ! Hum !
- Vous avez bien dîné déjà ? Bon ! Vous descendez des grands Sars de l'Inde, n'est-ce pas ?
- Oui.
- Vous êtes né dans l'Inde ?
- Je suis né dans l'Inde.
- A quel endroit de l'Inde ?
- Châteauroux.
- A Châteauroux ! Extraordinaire ! Vraiment ! D'ailleurs, je crois savoir de source sûre que votre père était hindou !
- Hindou, oui.
- Votre grand-père ?
- Hindou.
- Et votre arrière-grand-père ?
- C'était un dur.
- Voilà donc par conséquent, n'est-ce pas, il a depuis de longues années la pratique de la vision hindoue. Dites-moi, Votre Sérénité, vous avez le don de double vue ?
- Oui, je vois double.
- Il voit double ! je m'en doutais un peu d'ailleurs ; vous voyez donc, mais c'est héréditaire ?
- Héréditaire !
- C'est atavique.
- Non, c'est à moi !
- Je veux dire, c'est congénital !
- Non, c'est quand j'ai trop bu.
- Il faut dire, n'est-ce pas, je tiens absolument à préciser, que Sa Sérénité fait de grands exercices tous les jours, quotidiennement presque, pour conserver son don de double vue. Il fait le yoga, n'est-ce pas ? Vous faites le yoga ?
- Oui, oui.
- C'est le yoga de...
- La Marine !
- Et il surveille également de très près son alimentation.
- Quelle est votre alimentation ? Qu'est-ce que vous prenez pour votre dîner ?
- Uniquement de la cuisine à l'huile.
- La cuisine des Sars ?
- La cuisine des Sars, oui !
- Oui, mais pourquoi ?
- Parce que les Sars dînent à l'huile !
- Les Sars dînent à l'huile ! Vraiment, ce n'est pas trop tiré par les cheveux du tout parce qu'il n'en a plus ! Alors, si vous permettez, nous allons nous livrer sur quelques personnes de l'assistance publique, à des expériences tout à fait extraordinaires. Votre Sérénité, je vais vous demander de vous concentrer soigneusement...
- Voilà ! Vous êtes concentré ?
- Je suis concentré.
- Il est concentré comme on dit chez Nestlé... parfait Votre Sérénité, concentrez-vous bien, vous êtes en transe ?
- Oui, je suis en transe napolitaine.
- En transe napolitaine, n'est-ce pas ? Votre Sérénité, concentrez-vous bien, et dites-moi, je vous prie, quel est le signe zodiacal de monsieur ?
- Monsieur est placé sous le double signe du Lion et du fox à poil dur.
- Oui, dites-moi quel est son caractère ?
- Impulsif, parallèle et simultané.
- Quel est son avenir ?
- Monsieur a son avenir devant lui, mais il l'aura dans le dos chaque fois qu'il fera demi-tour.
- Il est vraiment extraordinaire ! Voulez-vous me dire, à présent, quel est le signe zodiacal de mademoiselle ?
- Mademoiselle est placée sous le triple signe bénéfique de la Vierge, du Taureau et du Sagittaire avant de s'en servir.
- Ah! C'est ça. Il a raison ! Il a mis dans le mille, n'est ce pas ? Il a mis dans le mille, comme disait Jean-Jacques Rousseau. Votre Sérénité, au lieu de vous marrer comme une baleine... Excusez-nous, Sa Sérénité est en proie aux divinités contraires de l'Inde : Brahma et Vichnou. Brahma la guerre et Vichnou la paix. Voulez-vous me dire, s'il vous plaît, Votre Sérénité, quel est l'avenir de mademoiselle ?
- L'avenir de mademoiselle est conjugal et prolifique.
- Ah! Prolifique ?
- Oui.
- Qu'est-ce que ça veut dire ? Elle aura des enfants ?
- Oui.
- Des enfants ?
- Des jumelles.
- Des jumelles !!! Combien ?
- Une paire avec la courroie et l'étui !
- Voulez-vous, à présent, je vous prie, me dire quel est le signe zodiacal de monsieur ?
- Ce monsieur est placé sous le signe de Neptune, Mercure au chrome.
- Quels sont ses goûts ?
- Monsieur a des goûts sportifs. Son sport préféré, le sport cycliste.
- Bien. Qu'il peut pratiquer sans inconvénients ?
- Oui, mais à condition toutefois de se méfier.
- Se méfier. De qui ? De quoi ?
- De certaines personnes de son entourage qui prétendent que sa compétence dans le domaine de la pédale exerce une fâcheuse influence sur son comportement sentimental.
- Ah! Encore une fois vous avez mis dans le mille. Mais, dites-moi, qu'est-ce que vous lui conseillez municipal ?
- Je lui conseille vivement de ne pas changer de braquet et de surveiller son guidon.
- Votre Sérénité, tout à fait autre chose à présent. Pouvez-vous me dire quel est le sexe de monsieur ?
- Masculin.
- Oui. Vous êtes certain ?
- Oui. Vous pouvez vérifier.
- Non, non, on vous croit sur parole ! Et dites-moi, quelle est sa taille ?
- Un mètre soixante-seize debout, un mètre cinquante-six assis, zéro mètre quatre-vingt-trois roulé en boule.
- Et dites-moi, il pèse combien ?
- Oh... deux fois par mois !
- Non, non! Excusez le Sar, n'est-ce pas, il ne comprend pas bien le français. Je vous demande quel est son poids P.o.i.x. ?
- Soixante-douze kilos cinq cents ! Sans eau, sans gaz et sans électricité.
- Oui, dites-moi quel est le degré d'instruction de monsieur ?
- Secondaire.
- Oui. Est-ce que monsieur a des diplômes ?
- Oui, monsieur est licencié GL.
- Licencié GL ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Ça veut dire qu'il travaillait aux Galeries Lafayette et qu'on l'a foutu à la porte.
- S'il vous plaît, Votre Sérénité, concentrez-vous bien, combien monsieur a-t-il de dents?
- Trente dedans et deux dehors !
- Voilà très bien! Monsieur a-t-il des complexes ?
- Oui! Monsieur fait un complexe... A certains moments, il prend sa vessie pour une lanterne.
- Et alors ?
- Et alors, il se brûle !
- Dites-moi, Votre Sérénité, mon petit bonhomme, dites-moi de quelle nationalité est madame ?
- Française.
- Oui. Et son père ?
- Esquimau !
- Et sa mère ?
- Pochette surprise !
- Très bien!... Et ta soeur ?
- Ma soeur, elle bat le beurre et quand elle battra ...
- Bon, bon, oui, ça va! - Escroc, voleur !
- Espèce de mal élevé, mauvaise éducation, excusez-le. Il n'y a pas longtemps... Il en a une touche là-dessus. Tiens, encore il y a trois ans, il n'avait même pas un plateau, il avait directement le pied de la table... Mais enfin, ça c'est autre chose... Votre Sérénité, pouvez-vous me dire, S'il vous plaît ... ?
- Oui !
- Euh !
- Quoi ?
- Qu'est-ce que vous pouvez me dire ?
- Je peux vous dire que vous ne savez plus votre texte...
- Si vous étiez intelligent, dites-moi donc qu'est-ce que je dois vous demander à présent ? Votre Sérénité, pouvez-vous me dire, c'est très important, concentrez-vous, pouvez-vous me dire quel est le numéro du compte en banque de monsieur ?
- Oui.
- Vous pouvez le dire ?
- Oui ! !
- Vous pouvez le dire ?
- Oui ! ! !
- Il peut le dire ! ! ! Bravo! Il est extraordinaire, il est vraiment sensationnel. Votre Sérénité, quelle est la nature du sous-vêtement de monsieur ?
- Monsieur porte un slip.
- Oui. De quelle teinte ?
- Saumon fumé.
- Tiens, tiens, en quoi est-il ?
- En chachlick mercerisé.
- Ah ! Il a un signe particulier ?
- Oui. Il y a quelque chose d'écrit dessus.
- Quoi donc ?
- Suivez la flèche.
- C'est merveilleux. Tout à fait extraordinaire ! ! ! Votre Sérénité, monsieur que voici que voilà a-t-il un signe particulier ?
- Oui, un tatouage.
- Ah ! Un tatouage ! Très intéressant ! c'est bien exact, n'est-ce pas ? je ne le lui fais pas dire ! c'est bien exact ! Et où se trouve situé le tatouage de monsieur ?
- Je suis extrêmement fatigué, je m'excuse...
- Allons, allons, voyons... Monsieur Schumaker !
-... C'est très délicat et je suis fatigué
- Il est dans un état épouvantable,excusez-le. Votre Sérénité, je vous demande où se trouve situé le tatouage de monsieur ?
- Le tatouage de monsieur est situé à un endroit que l'honnêteté et la décence m'interdisent de préciser davantage.
- ah ! bon, mais qu'est-ce que vous entendez par là ?
- Oh ! par là j'entends pas grand-chose !
- Je vous prie de vous concentrer davantage, espèce de malotrou ! Alors, que représente le tatouage de monsieur, s'il vous plaît ?
- Bon ! Le tatouage de monsieur représente... enfin lorsque monsieur est en de bonnes dispositions... le tatouage représente : d'un côté la cueillette des olives en Basse-Provence, et de l'autre un épisode de la prise de la Smalah d'Abd-El-Kader par les troupes du duc D'Aumale en mil huit cent quarante-trois.
- Ah ! Parfait ! Et de plus ?
- Et c'est en couleurs !
- Ah! c'est en couleurs ! Bravo ! Mes félicitations, monsieur ! Vraiment, si, si, vraiment très bien ; mes compliments, madame ! Madame a de la lecture pour les longues soirées d'hiver, c'est parfait. Votre Sérénité, vraiment, vous avez été extraordinaire, c'est vrai, vraiment, il est vareuse... il est vareuse...
- Eh !...
- Non, il est unique, pardon, je me suis trompé de vêtement, mais ça ne fait rien. Il ne me reste plus qu'à envoyer des baisers à l'assistance publique.
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